Étienne Berthier : « Chaque glacier a sa propre sensibilité au climat »
Directeur de recherche et glaciologue, Étienne Berthier a développé des outils de suivi des glaciers à partir d'images satellites. Lors de sa conférence au Congrès de Pau, il nous présentera les résultats de ses dernières recherches.






Nous sommes tous conscients que les glaciers fondent... Que va-t-on apprendre de plus au cours de cette conférence ?
E.B. : Tout d'abord, il faut bien définir ce dont on parle : banquise, glacier et calotte glaciaire sont des entités bien distinctes. De même, il est important d'expliquer la méthode scientifique utilisée pour observer l'évolution des glaciers à partir des images satellites. En effet, les glaciers ne sont pas faciles à étudier avec ce type d'images, car ils sont souvent dans des zones de forts reliefs, et parfois masqués par la neige. Afin de pouvoir exploiter ces clichés, qui permettent de couvrir toutes les zones glaciaires du globe de façon homogène, nous avons développé des méthodes, qui ont été validées par des mesures prises régulièrement sur le terrain. Un « temps de recherche » -- dont nous parlerons aussi -- qui a abouti à la construction d'une cartographie complète des glaciers du monde. Ce passage par les « coulisses » est essentiel pour comprendre la portée des résultats présentés. Nous ferons ensuite un zoom sur l'évolution récente des glaciers des Alpes et des Pyrénées, qui viennent de connaître deux années très déficitaires. Les températures en sont le facteur principal, mais les déficits d'accumulation hivernal viennent moduler ce constat. Les bilans de masse 2022/2023 des glaciers pyrénéens, qui viennent de tomber, en sont un bon exemple que nous expliquerons.






Quelles sont les conséquences du recul des glaciers ?
E.B. : La première est la hausse du niveau de la mer, mais elle ne dépend pas que de l'eau douce stockée dans la glace, d'autres paramètres sont à prendre en compte. Aussi, les conséquences sur la ressource en eau pourront être redoutables et bouleverser les écosystèmes, mais elles ne se manifesteront pas partout de la même manière. Certaines zones du globe dépendent peu de l'eau des glaciers, pour d'autres en revanche, il y aura un vrai besoin d'adaptation le jour où leurs glaciers auront considérablement réduit ou disparu.
Au Népal par exemple, en zone de mousson, les glaciers fondent l'été et abreuvent des cours d'eau, mais ceux-là sont déjà remplis par les fortes précipitions de cette période. L'apport des glaciers à ces cours d'eau est en réalité minime. Inversement, à l'autre bout de la chaine himalayenne, en Asie Centrale, les précipitions se concentrent plutôt sur l'hiver. L'eau de la fonte des glaciers remplit quasiment 100 % des débits des rivières les étés où des sécheresses sévissent. Quand les glaciers auront disparu, ces rivières seront asséchées. Sans alternative, des zones entières se désertifieront.
Légende: Image satellite de l'archipel arctique, au nord du Canada © NASA METI






Qu'en est-il des glaciers européens ?
E.B. : Dans les Pyrénées, les glaciers sont trop petits pour jouer un rôle dans la disponibilité de la ressource en eau. C'est plus une icône que nous perdons. Ce constat est à modérer dans les Alpes, où en période de forte canicule, la fonte des glaciers compte dans l'approvisionnement des rivières. En 2003, l'équivalent de 40% du débit du Rhône au niveau de Beaucaire, dans le Vaucluse, étaient imputables à la fonte des glaciers alpins. En zone de montagne, la disparition des glaciers va condamner des torrents en été, et aura un impact très important sur l'écosystème.
Légende: Recul et amincissement de la partie basse de la Mer de Glace (Chamonix, France) entre 2003 et 2022. © CNES, Distribution Airbus DS / traitement Etienne Berthier





Même si les émissions de gaz à effet de serre étaient drastiquement réduites demain, pour certains glaciers c'est déjà trop tard, d'autres en revanche survivront. Pourquoi ces disparités dans le monde ?
E.B : Chaque glacier a sa propre sensibilité au climat. Avec une hausse des températures identiques, les glaciers des zones tempérées ou de basse altitude vont perdre plus de masse que les glaciers situés à haute latitude ou haute altitude, car ce qui va déterminer cette perte, ce n'est pas la hausse des températures mais la durée de la période de fonte sur l'année. Au nord du Canada, le Spietzberg, ou l'Arctique russe, la période de fonte sera peut impactée, car ces régions resteront froides. En revanche dans les Alpes, où l'isotherme zéro a plus de chance d'être franchi sur les zones glaciaires avec une hausse des températures même minime, l'accroissement de la période de fonte est fort, provoquant un recul des glaciers irrattrapable. En effet, dans le cas d'un réchauffement rapide, tel que celui que nous vivons, les glaciers n'ont pas le temps de s'ajuster aux nouvelles conditions climatiques, ils vont sacrifier les parties les plus exposées, remonter en altitude, jusqu'à retrouver un bilan de masse équilibré si le réchauffement cessait. Cela peut prendre une dizaine d'années pour des glaciers bas qui réagissent vite aux évolutions climatiques ou des milliers d'années pour les calottes glaciaires.
Légende : Le glacier Upsala en Patagonie © Étienne Berthier






Pouvez-vous nous dresser un tour d'horizon de l'avenir des glaciers dans le monde ?
E.B. : Pour les Pyrénées, c‘est bouclé. Quoi qu'il arrive en termes de scénarios climatiques, ils vont disparaitre d'ici 10 à 15 ans, peut-être même avant, tant les deux dernières années ont été catastrophiques en termes de bilan de masse. Les glaciers alpins de basse altitude connaitront le même sort. A plus haute altitude, nos projections indiquent qu'en 2100, il resterait entre 5 à 20% des surfaces glaciaires, approximativement celles situées au-dessus de 4000 m. Une disparition massive donc, mais avec des différences selon la trajectoire climatique suivie. Dans le monde, les glaciers perdent tous de la masse, mais avec des disparités régionales assez fortes. En Alaska, le recul est rapide, dans les hautes montagnes d'Asie, les glaciers perdent une trentaine de centimètre chaque année « seulement ».
Légende: Comparatif entre deux images du glacier Kliniklini (Ouest canadien). A gauche, image ASTER (Advanced Spaceborne Thermal Emission and Reflection Radiometer) du glacier en septembre 2000 © NASA-METI. A droite, carte de l'amincissement (en mètres) de ce glacier entre 2000 et 2019 après traitement © R. Hugonnet (LEGOS/ETH)





Auparavant discrets, de nombreux scientifiques dénoncent ouvertement l'altitude des gouvernements face à l'urgence climatique maintenant, est-ce leur rôle ?
E.B. : Vous parlez à un scientifique qui vient de manifester contre l'A69 ! Si les scientifiques ne sont pas écoutés, nous perdons notre énergie. Alors oui, il faut que nous nous fassions entendre autrement. Des projets climaticides, qui vont nous impacter pendant 30 à 40 ans, sont lancés à nos portes. C'est incompréhensible de soutenir ce genre d'investissements qui va à l'encontre des discours et des objectifs que l'UE européenne a fixé, à savoir de réduire les émissions de GES de 50% d'ici 2030. Il y a trop d'incohérences entre les annonces et les actions. Pour ma part, je suis très impliqué sur les questions de mobilité, j'essaie de promouvoir le vélo au quotidien et de me rendre audible.
Légende : Le glacier de Los Tres, au pied du Fitz Roy. © Pierre Pitte
La conférence d'Étienne Berthier, Les glaciers, sentinelles du changement climatique, se déroulera le dimanche 12 novembre, 11h30 - 12h30, à l'université de Pau et des Pays de l'Adour.