Origine et développement

Frantz Shrader

De l'idée initiale aux premiers travaux...

...ou les blancs de la cartographie de haute montagne

Au début du 20ème siècle, l'Etat major et les montagnards partagent une préoccupation commune concernant les insuffisances voire les erreurs en matière de cartographie des Alpes ou des Pyrénées. A l'initiative du Lieutenant Colonel du Génie F. Prudent (alors capitaine) en charge de la carte au 1/500.000°, un groupe de travail est constitué. Il rassemble entre autres personnalités Joseph et Henri Vallot, Frantz Schrader, Paul Helbronner… L'objectif assigné est double : formation aux techniques des relevés en terrain difficile, amélioration des méthodes et des matériels de topographie en montagne.

En 1903, sous l'impulsion d'Henri Vallot et de Frantz Schrader, ce groupe informel intègre le Club alpin sous la dénomination de "Commission de topographie". Jusqu'à la guerre de 1914, les travaux de la Commission porteront essentiellement sur la cartographie et les disciplines connexes : toponymie, hydrologie, glaciologie, etc. La notoriété croissante de la Commission de topographie lui assure une situation privilégiée dans les instances de direction du Club alpin français. Entre 1900 et 1914, trois présidents du CAF seront issus de ses rangs, Frantz Schrader (1901-1906), Joseph Vallot (1907-1908), le Prince Roland Bonaparte (1908-1909).

Cotatuero, brèche de Rolland, par Schrader

De la commission de topographie à la commission des travaux scientifiques...

... une dénomination qui exprime l'élargissement de l'objet des travaux et la composition pluridisciplinaire de la Commission

Entre les deux guerres mondiales, après une interruption consécutive à l'hécatombe de 1914-1918, la Commission de topographie cherche un second souffle. Il lui faut mobiliser l'élite intellectuelle du CAF sur un projet plus ouvert. L'objet de la Commission est alors défini comme s'adressant à la "plupart des études scientifiques qu'on peut avoir à envisager pour la connaissance raisonnée des régions de montagne".

En 1920, sous la présidence du baron F. Gabet, le CAF organise un congrès international d'alpinisme à Monaco. L'architecture de cette manifestation repose sur une répartition du travail par grandes disciplines scientifiques… L'idée d'une université de la montagne transparaît tant au niveau de l'organisation que des conclusions des débats 

En 1929, la Commission modifie son intitulé pour devenir "Commission des travaux scientifiques". A partir de travaux conduits souvent à titre personnel, le champ d'activité de la Commission va se diversifier. De nouvelles rubriques apparaissent ou se développent, l'astronomie, l'aérologie et la météorologie, la spéléologie, la géographie humaine, la zoologie ou la botanique… En 1936, La Commission réalise et édite un important ouvrage consacré à "L'œuvre scientifique du Club alpin français 1874-1922". Cette publication qui prend la forme d'un bilan, marque un tournant dans l'activité de la Commission. Le travail de recherche est de plus en plus le fait d'institutions spécialisées dotées de compétences et de moyens appropriés, les travaux entrepris à titre individuel se situant à la marge.

Les bruits de bottes qui martèlent la fin des années 30 puis la seconde guerre mondiale avec son cortège de destructions, ouvrent une parenthèse d'une bonne dizaine d'années.
Pendant cette période et s'inscrivant dans la lignée des explorations d'Edouard-Alfred Martel et de Norbert Casteret, le professeur Jeannel, entomologiste, professeur au muséum d'histoire naturelle, va orienter la Commission en direction du monde souterrain. Les travaux de Félix Trombe, notamment sur les gouffres du Haut-Comminges (1943) marquent cette période.

Au Makalu

De la Commission des travaux scientifiques à l'actuel comité scientifique...

... une difficile inflexion de perspective entre un rôle de maître d'œuvre et celui d'interface

En 1951, Paul Fallot, membre de l'Institut et professeur de géologie au Collège de France, prend la présidence de la Commission des travaux scientifiques. Le "coup de tonnerre de l'Annapurna" a des retombées qui intéressent la recherche : l'Himalaya est devenu un véritable enjeu national. Dans ce contexte, Paul Fallot obtient la présence d'un échelon scientifique dans les expéditions de 1954 - 1955 au Makalu (l'abbé Pierre Bordet et Michel Latreille) puis d'un géologue et d'un zoologiste lors de l'expédition au Jannu en 1959. Les travaux de l'abbé Bordet devaient engendrer un courant de recherches françaises en géologie himalayenne.

La notoriété du travail accompli a très probablement marqué un fait important, le rôle de la Commission s'est déplacé. De maître d'œuvre (c'est à dire assurant par elle-même, le travail de recherche), la Commission devient interface. Elle constitue un lieu de rencontre et de projets entre chercheurs et entre scientifiques et alpinistes. Nous assistons à un déplacement de "l'intuitu personae" en direction de l'institutionnel. Intégrer cette évolution et ses conséquences a requis des années.

La fin de la décennie 50 s'accompagne de modifications importantes dans la conception même des expéditions himalayennes. Aux expéditions lourdes engagées à l'échelon national se substituent des expéditions légères qui s'inspirent de la technique alpine.
A l'inverse de l'évolution que connaît la Commission scientifique, les expéditions évoluent de l'institutionnel vers l'individuel. Autant l'adjonction d'un échelon scientifique pouvait s'intégrer dans une expédition nationale, autant celle-ci a du mal à s'intégrer dans le cadre d'une petite unité. Il faudra attendre la fin des années 70 pour que la fonction d'interface soit explicitée et valorisée comme une production. Dans cet esprit, la Commission des travaux scientifiques devient Comité scientifique.

Le Comité se définit alors comme :
     _ un lieu de rencontre et d'initiative inter-disciplinaire et entre scientifiques et alpinistes
     _ un lieu de projets entre entités d'origines et de natures différentes.

La composition du Comité en terme de diversification des compétences et des appartenances institutionnelles constitue de ce fait un facteur essentiel pour mener à bien une politique qui privilégie les projets fondés sur le partenariat.


Jacques Malbos
Président d'honneur du Comité scientifique de la Fédération française des clubs alpins et de montagne, décédé en 2023.