« Président de la FFCAM, c'est être un capitaine dans la tempête »

Notre fédération, institution historique et acteur de premier plan de la montagne, s'apprête à vivre un moment fort de sa vie associative et fédérale. Le 16 mars 2025, lors de son assemblée générale élective à Châlon-sur-Saône, elle va changer d'équipe dirigeante et de président. Cette élection marque également la fin d'une période : Nicolas Raynaud, à la tête de la FFCAM depuis 8 ans, actuellement coprésident avec Sylvie Guérin et Rémy Mullot et investi dans les fonctions fédérales depuis près de 20 ans, ne se représente pas en 2025. Avec lui, dressons un bilan des deux dernières olympiades et un état des lieux des chantiers qui attendent la FFCAM les prochaines années, pas seulement sur les refuges.

Nicolas Raynaud, Rémy Mullot et Sylvie Guérin, à la mise en route de la co-présidence. Nicolas Raynaud, Rémy Mullot et Sylvie Guérin, à la mise en route de la co-présidence.

FFCAM : Bonjour Nicolas Raynaud, à quelques jours de l'AG élective de Chalon-sur-Saône, comment vous sentez-vous ?
Nicolas Raynaud : Difficile à dire ! Pour le moment, je suis encore très pris par la gestion des dossiers du quotidien de la fédération avec Sylvie, Rémy, la préparation de la saison estivale pour les refuges par exemple, et surtout avec l'équipe de direction, par l'organisation de la prochaine assemblée générale. Je peux me sentir un peu vide, mais je suis serein, soulagé aussi à l'idée d'avoir moins de poids sur les épaules et peut-être des nuits plus simples à passer.

FFCAM : Quel est votre parcours à la fédération ? Qu'est-ce qui vous a mené au Comité directeur, puis à la présidence de la FFCAM ? 
N.R. : J'ai poussé la porte du club alpin de Lyon à la fin des années 1990. Suite à une mésaventure en montagne avec des amis dans le massif du Pelvoux, j'ai ressenti le besoin de mieux me former. Néanmoins, j'étais déjà expérimenté, alors on m'a immédiatement désigné responsable de cordée sur les sorties auxquelles je participais ! J'ai rapidement passé mes brevets fédéraux et de formateur. Comme les questions scientifiques m'intéressaient, je me suis aussi impliqué sur le sujet de la sécurité montagne en hiver et je suis devenu formateur neige et avalanche à l'ANENA (Association nationale pour l'étude de la neige et des avalanches, ndlr) . Cela m'a amené à être co-responsable des formations sports de neige. De là, on m'a proposé d'intégrer le comité directeur et j'ai commencé à m'investir dans des missions fédérales grâce à Jeanne Beraud, Daniel Patuel et Jean-Paul Zuanon. 
Mes parents, tous deux instituteurs, étaient très investis dans les milieux associatifs, en particulier sportifs. L'engagement bénévole, je l'ai vécu de l'intérieur toute mon enfance. Comme je suis impliqué et travailleur, cela ne m'a pas fait peur de m'engager plus. 

FFCAM : Quels étaient les enjeux de la fédération, qui s'appelait encore Fédération des Clubs alpins français, à l'époque ?
N.R. : Début des années 2000, nous perdions beaucoup de licenciés. Le processus de fusion des deux fédérations sportives de montagne venait d'avorter (la FCAF et la FFME, ndlr). Il fallait rebondir ! Bernard Mudry, alors président, a eu l'idée de lancer un plan de développement stratégique, dont il m'a confié la coordination dès 2006. Nous avons alors intensifié notre politique de développement sportif, débutée quelques années auparavant par la création des écoles d'escalade, le démarrage des Grands Parcours... Sur le plan associatif, nous avons amplifié les créations de clubs. Il y en avait environ 200, aujourd'hui on en compte plus de 440. Nous avons lancé les Comités territoriaux, qui sont des maillons essentiels dans nos relations avec nos partenaires et nos clubs. Enfin, il fallait raviver les liens institutionnels de la FFCAM avec le reste du milieu de la montagne et du milieu sportif, point sur lequel Georges Elzière m'avait demandé de travailler quand j'étais  vice-président.

« Soyons vigilants à ce que les refuges gardent leur spécificité d'hébergements collectifs, sobres, simples et restent des lieux d'exception qui rassemblent tous les publics, ouverts à tous, toute l'année, en période gardée ou non gardée. »

Avec Éric Fournier, maire de Chamonix-Mont-Blanc, lors de l'inauguration du refuge du Couvercle en 2022. Avec Éric Fournier, maire de Chamonix-Mont-Blanc, lors de l'inauguration du refuge du Couvercle en 2022.

FFCAM : Après cette vice-présidence, votre liste est élue et vous devenez président de la FFCAM.  Pouvez-vous revenir sur vos projets fédéraux L'Esprit Club Alpin - Horizon 2021 puis L'Esprit Club Alpin - Horizon 2024 ?  
N.R. : Une des questions centrales était "Comment la fédération peut être un creuset grâce auquel la pratique de la montagne et la vie sur ces territoires puissent se développer de façon plus vertueuse en limitant les impacts?". Faire en sorte que les montagnes soient résilientes et vivantes. Et enfin faire en sorte que tous ceux qui viennent nous voir, quelque soit leur niveau et leurs moyens, repartent avec une part d'expérience montagne en plus : une balade en forêt, une randonnée, une rencontre avec des animaux, un coucher de soleil, une nuit en refuge, une course en montagne, un raid d'une semaine, une expédition … Cela s'est traduit par trois axes : les différents publics et l'éducation à la montagne, les questions de sécurité et de formations, et ce qu'on a nommé le développement combiné. Il s'agit de la combinaison des trois atouts de la fédération -- la multi-activité, la vie associative de nos clubs et nos hébergements -- pour attirer, transmettre, et développer.

FFCAM : Et le sujet refuge ?
N.R. : justement, le sujet des refuges découle précisément de ce développement combiné, car les projets de rénovation sont au cœur des questions de développement : celui de la pratique, de l'accueil des publics spécifiques, tels que les groupes scolaires, celui d'un territoire ou de la réduction de l'impact sur le milieu naturel grâce notamment à la modernisation de nos équipements. C'est grâce à cette stratégie que nous avons re trouvé une relation avec les territoires et les institutions de la montagne, en particulier les Comités de massif et l'État, et que nous avons pu mettre en œuvre un plan de rénovation décennal ambitieux*. Pour cela, nous avons fait confiance à la concertation, qui, à notre initiative, a permis de rassembler les acteurs de la montagne et de faire avancer nos projets. Elle a aussi ses limites. Elle nous a amené à concéder des évolutions sur notre objet refuge. Aujourd'hui, soyons vigilants à ce que les refuges gardent leur spécificité d'hébergements collectif sobres simples et restent des lieux d'exception qui rassemblent tous les publics, ouverts à tous toute l'année en période gardée ou non. Ce concept doit être préservé parce qu'il donne du sens à notre action et une visibilité unique à la Fédération dans l'écosystème montagnard et le paysage sportif auxquels elle appartient.

FFCAM : Lorsque vous prenez de la hauteur et regardez ces 16 années de travail à la tête de la FFCAM, quel constat dressez-vous ?
N.R. : Les chiffres ne sont pas une finalité, mais ils sont là : depuis 2010, notre fédération se développe et cette tendance s'est accélérée depuis 2017. La courbe du nombre de licenciés s'est inversée, elle est passée de 77 000 licences annuelles à plus de 100 000 les dernières années. Le nombre de clubs a, lui aussi, progressé avec des structures à taille humaine, qui permettent d'avoir une vie associative plus riche, plus forte. Le nombre de bénévoles a augmenté de 30%, cela signifie que de plus en plus de personnes trouvent du sens à s'investir dans les actions de la Fédération et de ses clubs. Le projet sportif est une réussite totale, sur tous les plans : la formation des encadrants et des pratiquants, les écoles d'escalade et multisports, les rassemblements sportifs… les Grands Parcours et les Camp4, par exemple, sont devenus des références en matière d'initiation aux sports de montagne. Mais pour mettre en place tout cela, il a fallu parfois qu'on bouscule un peu la gouvernance et le fonctionnement fédéral, et travailler en équipe.

« Si elle souhaite être efficace et utile, la FFCAM doit être à l'intersection des sujets qui animent les milieux de la montagne. » 

Devant l'Assemblée Nationale, lors du Conseil national de la montagne en 2023, avec notamment les commissaires de massif. Devant l'Assemblée Nationale, lors du Conseil national de la montagne en 2023, avec notamment les commissaires de massif.

FFCAM : Président de la Fédération française des clubs alpins et de montagne, c'est une fonction difficile ?
N.R. : Président de la FFCAM, c'est être « un capitaine dans la tempête », comme l'a écrit un média il y a quelques années. Il faut être un couteau suisse, connaître tous les sujets, s'intéresser à tout : les secteurs d'activité, les assurances, les questions réglementaires, les refuges, etc. Il faut avoir des réseaux partout et s'impliquer en interne comme en externe sur tous ces sujets aussi divers que complexes. C'est énormément d'énergie en permanence, pour cela, il doit pouvoir compter sur ses équipes. 
La fonction exige une certaine rigueur, une vision des choses. On est crédible auprès de nos interlocuteurs parce qu'on fait ce qu'on dit et que l'on rend des comptes. Le fait d'habiter et de travailler en montagne m'a beaucoup aidé dans les relations avec les acteurs, les politiques et les institutions.

FFCAM: Justement, concernant les relations institutionnelles : quelle place doit à présent occuper notre fédération dans l'écosystème montagnard et le milieu sportif ? 
N.R.
: Si elle souhaite être efficace et utile, elle doit être à l'intersection des sujets qui animent ces milieux. Institutionnellement, cela se traduit par sa participation à des Comités, à des conseils, et aussi au quotidien par des actions de coordination des acteurs sur le terrain. Il y a quelques jours, par exemple, nous avons coordonné une concertation pour discuter de la réouverture de l'accès à la Bérarde cet été. Cette place, si chèrement acquise, d'acteur important du milieu de la montagne, se construit en des années, demande beaucoup d'énergie pour la maintenir et peut se détruire en quelques secondes, en quelques réflexions malhabiles ou positions peu stratèges. Pour être écoutée, notre Fédération doit rester ouverte et éviter les dogmes  Elle doit pouvoir construire une synthèse des problématiques, dans laquelle elle joue son rôle d'animation, de développement, d'éducation et de protection de la montagne.

« ​Il va falloir gérer cette tenaille dans laquelle nous sommes entre une montagne qui s'écroule en haut et une montagne prise d'assaut par le bas. »

Lors de l'Assemblée générale 2024 à Chambéry, encadré de Rémy Mullot et Sylvie Guérin. Lors de l'Assemblée générale 2024 à Chambéry, encadré de Rémy Mullot et Sylvie Guérin.

FFCAM : Nous vivons une accélération des tendances, l'impact du réchauffement climatique est de plus en plus visible en montagne, en même temps, elle attire de plus en plus de monde. Dans ce contexte, quels sont les enjeux pour la FFCAM ?
N.R : Effectivement, il va falloir gérer cette tenaille dans laquelle nous sommes entre une montagne qui s'écroule en haut et une montagne prise d'assaut par le bas, ce que Bernard Fishesser dans La vie de la montagne*** appelle « la zone de combat », entre l'étage subalpin et l'étage alpin :  c'est là où se déroule la majeure partie de nos activités et là où est la majeure partie de nos refuges. Il va donc falloir gérer des flux, et en particulier, une distorsion entre le développement que cela va occasionner et les services que nous pouvons rendre. Voilà toute la difficulté de la transition : continuer à vivre tout en poursuivant notre adaptation. 

FFCAM : Envisagez-vous de revenir sur d'autres fonctions de la fédération ?
N.R. : Ce n'est pas certain. Ces dernières années m'ont quand même abîmé. Si je poursuis mon engagement, ce sera sous réserve de continuité, de cohérence, de bienveillance et de respect mutuel. Malgré tout, je retiens le positif et je remercie toutes celles et ceux, équipes bénévoles et salariées, avec qui j'ai travaillé et qui ont œuvré ardemment durant ces 4 olympiades.

 

* Plan décennal de rénovation : le plan décennal de rénovation des refuges 2017-2026 a été voté par le comité directeur en 2017. Il concerne 22 refuges et 4 chalets de bord de route.
** Sylvie Guérin et Rémy Mullot sont coprésidents avec Nicolas Raynaud de la FFCAM depuis 2021.
***La vie de la montagne de Bernard Fisheresser publié en 2018 par Delachaux & Niestle.

Un refuge préféré ? Celui de Jean Collet dans Belledonne, même s'il n'est pas FFCAM ! Un refuge préféré ? Celui de Jean Collet dans Belledonne, même s'il n'est pas FFCAM !

Biographie

  • 1971 Naissance à Grenoble
  • 1975 Découverte de la montagne : première randonnée au lac du Crozet et au col de La Pra (massif Belledonne), à 6 ans, première nuit en refuge à l'Étendart (Grandes Rousses), à 15 ans première course d'alpinisme au pic de l'Étendart et premier 4000m l'année suivante au Dôme des Écrins. 
  • 1989 Bac C lycée Lumière Lyon 8e et entrée en classe préparatoire mathématiques au lycée du Parc (Lyon 6e), passe l'agrégation de mathématiques cinq ans après.
  • 1991 Adhésion club alpin français de Lyon, responsable de cordée  et coencadrement. Passage des brevets fédéraux, chef de course de ski alpinisme, initiateur alpinisme l'année suivante, brevet instructeur ski alpinisme 6 ans après.
  • 1997-2005 Commission nationale sports de neige et vice -président formation
  • 2001 Première élection au Comité directeur fédéral de la Fédération des clubs alpins français
  • 2004 Création des écoles sports et aventure FFCAM, l'année suivante création  de la section biqualification montagne (bac en 4 ans) unique en France au lycée Ambroise Croizat de Moutiers, dont il en est le coordonnateur depuis.
  • 2006-2009 Membre du bureau fédéral FFCAM, responsable du plan stratégique
  • 2009 -2016 Vice-président activités, formation développement en charge des relations institutionnelles sportives 
  • 2009-2025 membre du conseil d'administration de l'ANENA
  • 2010 création du premier groupe féminin région Rhône-Alpes
  • 2017- 2022 Président FFCAM (réélu en 2021), lancement du plan de rénovation, création d'une équipe de direction, professionnalisation de la gestion des hébergements, membre du CNM, gestion de la crise covid, participation à l'élaboration du Plan Avenir Montagnes 2021-2022
  • 2023-2025 Coprésident de la FFCAM, avec Sylvie Guérin et Rémy Mullot

Avec ses élèves de la section biqualification montagne, au refuge du Grand Bec.

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Lors de la dernière Coupe du monde d'escalade sur glace à Champagny-en-Vanoise, avec ses anciens élèves, bénévoles sur l'évènement.

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À l'Ice Climbing Ecrins, avec Joël Giraud, nommé au ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales entre 2020 et 2022 (secrétaire d'État, puis ministre).

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Jeanne Beraud, du Club alpin de Lyon, une amie et inspiratrice depuis 1991.

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À l'inauguration du Pavé, avec Pauline Müller, la gardienne, un représentant du Parc des Écrins et Arnaud Murgia, maire de Briançon notamment, en septembre 2024.

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À l'inauguration du refuge de Campana de Cloutou.

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Présentant la réforme des cursus de formation lors de l'assemblée générale 2022.

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Présentation des bilans à l'asssemblée générale 2024 à Chambéry.

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