Les impacts du changement climatique sur les écosystèmes montagnards

La montagne, un milieu riche....

Mappemonde

La montagne, un milieu riche.... La biodiversité sur Terre est un enjeu majeur à protéger, une richesse dont les différents milieux de la planète sont plus ou moins bien dotés. La montagne fait partie des plus riches. La biodiversité peut être estimée à partir du nombre d’espèces de plantes recensées par kilomètre carré : la carte (Fig.1) est établie pour les plantes vasculaires qui représentent l’immense majorité des espèces. Sur la planète, on observe une biodiversité pauvre dans les ceintures désertiques des tropiques (climats arides et chauds) ainsi qu’aux hautes latitudes (climats très froids) et une biodiversité particulièrement élevée dans les régions chaudes et humides des basses latitudes, où la diversité la plus élevée apparaît souvent dans les régions montagneuses. Sans doute y a-t-il différentes raisons à cette richesse, mais il en apparaît une, immédiate, lorsqu’on se pose la question de savoir comment ces régions sont impactées par les changements climatiques. Deux caractéristiques se dégagent. Tout d’abord si, en plaine à nos latitudes, lors d’un réchauffement de 1°C, il faut parcourir quelques centaines de kilomètres (de l’ordre de 250 km) vers le nord pour retrouver la température initiale, en montagne, il ne faut monter que d’une centaine de mètres (de l’ordre de 150 mètres) pour le même résultat. Le milieu montagnard apparaît donc comme un milieu propice à une adaptation beaucoup plus rapide que la plaine car il dispose de niches écologiques proches les unes des autres. L’autre caractéristique est liée aux pluies: les massifs montagneux, par leur relief, favorisent les précipitations (pluie plus neige). Ce sont donc en moyenne (cela dépend bien sûr de l’orientation des massifs par rapport aux vents dominants) des milieux souvent bien arrosés et, dans ce contexte, les îles montagneuses sont particulièrement favorisées car le réservoir d’eau est à proximité. Une autre raison de cette richesse en biodiversité doit être évoquée: milieu difficile et peu peuplé comparé aux plaines, le milieu montagnard a été plus préservé des impacts de l’Homme. Ce milieu apparaît donc privilégié pour mieux conserver sa biodiversité en cas de changement climatique. Ainsi en Europe, dans l’environnement alpin, qui couvre seulement 3% de la surface, on trouve près de 20% de toutes les plantes vasculaires natives d’Europe.

... mais fragile : une lapalissade !

Un dessin de maternelle nous éclaire rapidement : c’est en montagne que les sols sont pentus. Des sols peu épais, liés à une couverture végétale en milieu difficile, livrés à une érosion intense sont des sols fragiles. Ce ne sont pas, par exemple, des sols qui supporteraient les hippopotames, même dans les pays chauds et humides ! Ils se dégraderaient trop rapidement ... et ils ne supportent pas davantage dans nos contrées le passage des gros engins. Cette couverture peu épaisse est vite fragilisée par l’activité humaine, et peut l’être aussi par l’évolution rapide du climat qui modifie leur stabilité par les conséquences engendrées (modification de la température, de l’humidité, des chutes neige-pluie, des zones gelées).

Le réchauffement récent et ses manifestations dans les Alpes

Quelques repères : Moyennée sur l’ensemble des surfaces de la planète (océans et continents) la température est actuellement de +15°C. Le réchauffement observé depuis 1900, particulièrement prononcé depuis les dernières décennies, est proche de 1°C. Son importance croît de l’équateur aux pôles : il est d’environ 2°C en France (et aux moyennes latitudes) et de près de 3 à 4°C aux hautes latitudes nord. Que représente 1°C moyen de réchauffement dans l’histoire du climat ? Cette question ne peut être éludée, car c’est sur ce point que vont se jouer les différentes routes à choisir pour le futur, nous l’aborderons plus loin.

Glacier du Bernina : toile posée sur le glacier pour retarder la fonte © H Denis

Neige et glace

Sur les Alpes, la température moyenne annuelle a augmenté d’environ 2°C depuis 1900 ; on ne note pas d’augmentation de la moyenne des précipitations (pluie + neige). Le réchauffement et ses impacts sont similaires à l’échelle de l’Arc alpin. Les faits marquants peuvent être résumés ainsi. Une avancée d’environ 2-3 semaines de la fonte des neiges et de la mise en végétation, comme dans l’ensemble des moyennes latitudes de l’hémisphère nord. Une remontée de la limite pluie-neige (d’environ 200 m) qui se traduit par une diminution de l’enneigement en basse et moyenne altitude, les précipitations annuelles n’évoluant pas. Il en résulte une couverture neigeuse moins épaisse et qui, de plus, fond 2 à 3 semaines plus tôt. Pour les stations de moyenne altitude, moins de neige et une température plus élevée posent la question de l’utilisation des canons à neige, une solution de plus en plus discutable, en particulier au vu du réchauffement qui de toute façon continuera. Les conséquences pour les glaciers apparaissent clairement. Le réchauffement moyen de 2°C correspond grosso modo selon les régions à une remontée de l’isotherme 0°C de 300 mètres. Ceci entraîne une augmentation de la surface de fusion de la glace et une diminution de la surface d’accumulation, d’où un recul des fronts. Le climat continuant à se réchauffer, les glaciers courent après de nouveaux équilibres qui seront atteints dans des temps d’autant plus longs que les glaciers sont plus grands. Par exemple si le climat s’arrêtait de se réchauffer aujourd’hui, le front de la Mer de glace, en 2040, aurait reculé encore de 1200 mètres. Les dangers qui résultent de cette fonte des glaciers sont bien répertoriés, communs aux régions montagneuses du globe : formation de lacs qui peuvent se vider brutalement ennoyant des vallées, lacs souterrains qui peuvent soudainement modifier l’avancée du glacier... La remontée de la limite neige-glace a, bien sûr, des conséquences sur la fusion du pergélisol (zone où le sol est toujours gelé), d’où une croissance du nombre d’écroulements de parois rocheuses en haute montagne, avec des dangers de chutes de pierres de plus en plus fréquents pour les alpinistes. Cette diminution du pergélisol peut aussi affecter la stabilité des glaciers suspendus, celle des refuges, des téléphériques et des observatoires.

Ressources en eau

C’est un chapitre qui inclut de nombreux acteurs. Les apports annuels d’eau par précipitation (pluie + neige) n’apparaissent avoir ni diminué, ni augmenté en moyenne sur le massif alpin, mais leur distribution au cours de l’année évolue. On constate, au printemps, une avancée de la fonte de la couverture neigeuse et un volume d’eau de fonte plus faible (couverture moins épaisse) ; en été, la quantité d’eau de fusion des glaciers commence par croître du fait du réchauffement mais à plus long terme diminue à cause de la réduction progressive de leur taille (cas actuel de certains petits glaciers). A ceci s’ajoute l’augmentation de l’évaporation des sols. Cet élément, très important, est souvent peu évoqué ; il résulte « automatiquement » du réchauffement qui entraîne une augmentation de l’évaporation de l’eau contenue dans les sols à laquelle s’ajoute la transpiration des plantes (d’où le nom d’évapotranspiration). Les sols de montagne de mince épaisseur, sans réservoir d’humidité plus profond, y sont particulièrement sensibles. Mesurée par Météofrance à la station de Bourg St Maurice, la moyenne de l’évaporation-transpiration entre mars et août a augmenté de 8% entre 1950 et 2015. Enfin une température moyenne annuelle qui se réchauffe entraîne statistiquement des épisodes d’extrême chaleur plus fréquents : en particulier les étés avec canicule deviennent plus fréquents, comme il en est dans le reste du monde (on se remémore la canicule de 2003 sur l’ouest de l’Europe avec ses 70 000 morts et ses baisses de rendements agricoles). Mais point n’est besoin des canicules pour arriver à des situations inédites : cet été, nombre de rivières en Suisse ont montré un réchauffement alarmant, supérieur à celui de 2003. La météo suisse classe l’été 2015 comme le deuxième été le plus chaud depuis le début des mesures en 1864 (il en est de même dans les Alpes françaises).

Cultures et élevages

Une modification des pratiques est en cours : cette évolution est le résultat du réchauffement des dernières décennies, particulièrement visible les années à printemps chauds et secs. Qu’observe-t-on ces années-là ? Le tarissement de sources en été, des sols qui s’assèchent plus tôt, la végétation des alpages qui change : les prairies sont en fleurs beaucoup plus tôt (la biodiversité ne change pas) et le dépérissement intervient plus vite dans l’été, dès juillet, pour finir sur des sols très secs en août et une diminution nette de la production de fourrage. Quels sont les différents mécanismes qui concourent à une telle conséquence ? L’élévation de température et non la baisse des précipitations. Et cette élévation va continuer. Comme exemple d’adaptation à ces changements on constate une tendance actuelle chez les agriculteurs-éleveurs à anticiper les effets de la sécheresse, concentrer leurs activités sur le début de l’estive, allonger dans certain cas la période d’estive sur les automnes de plus en plus cléments... une gestion dorénavant plus complexe (communication personnelle de C. Chaix).

Ecosystème

Biodiversité

Avancée du printemps et saisons plus chaudes conditionnent les évolutions observées. L’avancée du printemps conduit dans certains cas à un découplage entre ressources offertes et ressources demandées par la faune en période de reproduction, avec fragilisation de la survie des nouveaux nés. La réponse au réchauffement conduit quant à elle à une montée en altitude bien étudiée par exemple sur les plantes herbacées, les espèces forestières et les insectes. On constate une remontée générale des espèces végétales (qui va avec un rétrécissement de l’espace disponible). Cette remontée est plus rapide pour les espèces à durée de vie courte (herbacées) que pour celles à durée de vie longue (espèces forestières, qui ont remonté de 29 mètres par décennie entre les périodes 1905-1985 et 1986-2005 pour une gamme d'altitude de 0 à 2600 m). La remontée des plantes de basse altitude conduit à une plus grande biodiversité vers les sommets, mais on note cependant des disparitions d’espèces endémiques et patrimoniales. Enfin la chenille processionnaire, dont l’histoire est bien documentée dans les Alpes italiennes, nous offre un exemple actuel de migration en altitude : entre 3 et 7 mètres par an, selon l’exposition des sommets.

Livre climats

Le futur à l'aune du passé

La cause du réchauffement (les émissions des gaz à effet de serre liées à l’activité humaine) restera présente dans l’atmosphère de nombreux siècles/millénaires : ce réchauffement change le climat de façon durable. Deux scénarios encadrent l’évolution possible du climat, selon la décision de juguler ou non les émissions de GES. Un réchauffement de +1°C en 2100 (par rapport à 2000), scénario bas, verrait dans la décennie à venir la continuation du changement actuel avec tendance à l’aridification de certaines zones (en particulier le bassin méditerranéen), augmentation des canicules et leur cortège de baisse de rendement agricole et une montée des mers. Ce scénario est loin d’être anodin, il implique des adaptations importantes. Le scénario haut : un réchauffement moyen de +4°C en 2100. Aucune évolution naturelle ne peut contrer un tel réchauffement dans les milliers d’années à venir. Que nous enseigne le passé ? Depuis près de 3 millions d'années, le climat oscille entre deux types de climat, un climat chaud, tel que l’actuel qui prévaut depuis près de douze mille ans (température moyenne d'environ +15°C, à un ou 2 degré moyen près) et un climat glaciaire (température moyenne d’environ +10°C). Cet écart de l’ordre de 5°C correspond au développement de grandes calottes glaciaires et à une baisse de 120 mètres du niveau marin). Durant les climats chauds (interglaciaires) la surface de la France est couverte de forêts qui font place à la toundra et au pergélisol durant les climats glaciaires. La biosphère a été conditionnée par ces changements et a dû s’ajuster aux nombreux allers-retours (une cinquantaine) entre climats chauds et climats glaciaires. Les espèces végétales et animales ont migré, balayant des milliers de kilomètres, se trouvant des refuges, certaines s’adaptant, d’autres subissant l’extinction quand les coups de froid se faisaient trop rudes : celles qui restent aujourd'hui sont le fruit de ces oscillations climatiques. Ces allers et ces retours se sont déroulés chacun sur des milliers d'années. Le balancier se déplaçait toujours entre interglaciaires et glaciaires, jamais vers un climat supérieur de plusieurs degrés aux interglaciaires. Augmenter la température moyenne de la surface de la planète de 4°C en près de 100 ans nous conduit à une température moyenne de +20°C, une température qui n'a pas existé depuis plus de 10 millions d'années, remontant à une époque où le genre Homo n'existait pas. Accepter une telle mutation nous voue à une perturbation très profonde des écosystèmes actuels (c’est le moins qu’on puisse dire !), ne laissant malheureusement pas de doute sur l’incapacité de la planète à nourrir 10 milliards d’individus.

Marie-Antoinette Mélières, membre du Comité scientifique de la FFCAM, physicienne-climatologue

M.-A. Mélières et C. Maréchal, « Climate Change : Past, Present and Future » Ed. Wiley, 2015, 391 p. Version française à paraître «Climat : passé, présent futur » Ed. Belin, Nov. 2015. M.-A Mélières, « Changement climatique : du Global au Régional », 2015, 47 p. Rapport d’étude (2015)