Physique

La physique au coeur des premières ascensions

Au tout début de l'histoire de l'alpinisme, l'étude des phénomènes physiques constituait une des principales motivations pour gravir les cimes. Ainsi, le Docteur Paccard était-il équipé d'un baromètre pour mesurer l'évolution de la pression atmosphérique avec l'altitude, tandis que le très célèbre Tyndall, alpiniste et physicien irlandais attribua, le premier, la couleur bleue du ciel à la diffusion de la lumière.

Il n'est donc pas surprenant que la physique occupe une place non négligeable au Comité Scientifique de la Fédération française des clubs alpins et de montagne, au côté d'autres disciplines comme les sciences de la terre, de l'atmosphère ou les sciences de l'Homme.
Les manifestations physiques spécifiques à l'environnement montagnard sont nombreuses. Une des plus immédiates est la diminution progressive de la température d'ébullition de l'eau au fur et à mesure que l'on s'élève vers les sommets qui résulte de la progressive réduction de la pression atmosphérique. Pour comprendre ce type de phénomène, un petit tour par la thermodynamique permet d'en saisir aisément les mécanismes.
Plus subtile, est la proximité trompeuse des montagnes en haute altitude. Qui n'a pas eu l'impression, un jour de beau temps, de « toucher du doigt » un sommet voisin, alors que le nombre d'heures pour l'atteindre est sans commune mesure ! Effet d'optique causé par la réfraction de la lumière, cet effet physique peut être à l'origine de sacrées surprises comme l'observation de sommets que l'on ne devrait jamais voir si la lumière se propageait en ligne droite ! C'est le fameux mirage des déserts, qui joue une drôle de farce au frères Dupont & Dupont dans les célèbres aventures de Tintin au pays de l'or noir, mais cette fois-ci à haute altitude ! Comme dans un miroir déformant, les sommets paraissent alors plus hauts qu'ils ne le sont réellement, et cet effet d'optique peut même jouer sur des centaines de mètres. Inutile de dire qu'il est très difficile de définir précisément un horizon dans lequel se détachent de lointaines montagnes…

Par temps d'orage, le ciel se déchire sous l'influence des mouvements convectifs verticaux de l'atmosphère, qui sont renforcés par la topologie tourmentée du terrain. Plus qu'ailleurs, il convient de comprendre les effets de pointe qui favorisent le contact de l'arc électrique soudainement créé avec le sol, ainsi que les signes annonciateurs tels que les fameuses « abeilles » si souvent relatées dans les récits d'ascension. Par la connaissance précise de la cascade de phénomènes en jeu, il est possible de se prémunir contre un risque d'électrisation pouvant être mortel dans certains cas. Une plaquette a été éditée par le Comité scientifique sur ce sujet très sérieux.
 
Pourquoi les observatoires astronomiques se perchent-ils en haute altitude, quelle est l'importance du rayonnement solaire ou galactique par rapport aux plaines, autant de questions parmi bien d'autres encore qui relèvent du domaine des sciences physiques où la montagne apporte sa spécificité.

Si la frontière avec d'autres spécialités comme la géologie, la météorologie, la nivologie ou la glaciologie n'est pas toujours très précise, il est clair que l'altitude permet de toucher du doigt, et de manière naturelle, des mécanismes universels que l'on ne peut retrouver que dans les laboratoires capables de reproduire ces conditions parfois exceptionnelles. Le milieu montagnard est donc un formidable observatoire sur le monde, avec la poésie en plus ! Quelle émotion lorsque soleil et nuages conjuguent leurs talents pour faire naître le fameux spectre de Broken, et vous transforment en géant des cimes, à la faveur d'une crête. Les mystères du monde prennent alors une dimension quasi-surnaturelle. Sans rien retirer au charme des circonstances, les sciences physiques permettent ainsi de porter un regard précis et rigoureux sur toutes ces manifestations, et d'apprécier encore plus l'extraordinaire magie de notre univers.

Yves Peysson
Physicien