Glaciologie






Les glaciers constituent un des éléments principaux de la haute montagne alpine : ils en sont la parure, celle que l'on distingue de loin, neiges dites éternelles, conséquences de l'altitude et attrait à la fois pour ceux qui les admirent prudemment du fond des vallées ou depuis les sentiers balcons, tout comme pour les alpinistes qui y tracent leur chemin en évitant leurs pièges pour accéder le plus élégamment aux sommets ou aux voies d'escalades.
C'est pourquoi, dès le début de l'alpinisme, a-t-on cherché à comprendre le fonctionnement de ces masses de glace et ce n'est que récemment, vers 1850, que naquit la théorie des grandes glaciations quaternaires, à partir de l'observation des traces laissés par les glaciers dans les vallées alpines tout le long des Alpes, comme jusque près de Lyon, Grenoble ou Sisteron, démontrant ainsi que le climat connut à plusieurs reprises de grands bouleversements, sur la plus récente des ères géologiques.
C'est probablement suite à l'effervescence de cette époque naturaliste et aux polémiques causées par la théorie révolutionnaire que débutèrent les premiers suivis systématiques des variations de longueur des glaciers dans les Alpes, à partir des années 1870. Affaire d'illustres mécènes au début, qui vont ensuite s'organiser en commissions de suivis au sein d'associations (clubs alpins Suisse, Italien et Français), la glaciologie naissante connut une période de définition à la fois des concepts de base (quel est le moteur du mouvement, le mode d'écoulement, la nature du matériau glace, ..?) et des méthodes de suivis annuels les mieux adaptés (quelles zones à étudier et quels paramètres à relever... ?).
Parmi ces premiers glaciologues, qui jouèrent un grand rôle dans la progression des connaissances débutantes et qui oeuvreront pour la plupart au sein du CAF et souvent en assureront la présidence, on peut mentionner plus particulièrement Joseph Vallot. En effet, il constitue un cas exemplaire de l'aller-retour indispensable entre l'observation particulière de terrain et le concept plus général à en dégager. Ses déductions sur les mesures de variation d'altitude et de vitesse sur le tronçon terminal de la Mer de glace, entre les Échelets et le Chapeau, pour la période 1891-99, vont fort heureusement être adoptées par le « Service des Grandes Forces Hydrauliques » du Ministère de l'Agriculture, crée en 1905 et chargé de la « Surveillance des Glaciers ».
Ainsi, pendant un demi-siècle, jusqu'en 1965, date de la réorganisation des Eaux et Forêts (E&F), un grand nombre de glacier sélectionnés dans chaque massif des alpes françaises vont-ils être suivis assez régulièrement, par les brigades de géomètres des E & F d'Annecy, Chambéry, Grenoble et Gap, Toulouse pour les Pyrénées, fournissant une base de données exemplaire, tout à fait exceptionnelle, permettant de suivre les modifications des glaciers au cours de la ré avancée de la décennie 1920 et la grande décrue des années 1940 à 1950. Une partie de ces relevés de terrain ont été repris par le Laboratoire de Glaciologie du CNRS (LGGE), dans les années 80, pour les besoins de la recherche, en faisant fructifier ce riche héritage de connaissances.






Mais, bien qu'indispensables, ces relevés ne traduisaient que la réponse différée sur quelques années ou plusieurs décennies des changements du climat et ne disaient rien sur les variations à l'échelle de chaque année de « l'état de santé du glacier », déjà source d'inquiétude pour nos prédécesseurs, eux qui avaient encore en mémoire la splendeur glaciaire du Petit Âge de Glace (PAG)(*) , culminant une dernière fois au début du XIXème siècle. C'est encore aux E & F qu'on doit les premières mesures directes de bilan de masse annuel, dès 1949, sur le petit glacier de Sarennes, poursuivies actuellement par le CEMAGREF de Grenoble.
De telles mesures géophysiques furent développées sur plusieurs glaciers des Alpes françaises, suite à la création à Grenoble du Laboratoire de Glaciologie (1956), par le Pr. Lliboutry, notamment avec la mesure des profondeurs grâce à des techniques directement dérivées de la florissante recherche pétrolière de l'époque 1950-1970 (gravimétrie, sismique, électrique). Et l'on s'aperçut que les glaciers étaient généralement épais, de même que profondes les anciennes vallées occupées par les grands fleuves de glace du quaternaire !
Par ailleurs, en laboratoire, se déroulaient des expériences de mécanique propres à caractériser les modes de déformation de la roche glace pour permettre, entre autres, des calculs à l'échelle du glacier ou de l'Inlandsis et de reconstituer la chronologie des échantillons de glace tirés des forages.
En effet, la glace, à la différence d'autres accumulations sédimentaires, a la propriété d'archiver et de préserver sur de longues périodes de temps des informations climatiques précieuses, telles que température, compositions de l'atmosphère en gaz à effet de serre (bulles d'air), et toutes sortes d'aérosols, qu'ils soient naturels ou dus à l'activité humaine. Dans les glaciers alpins froids, 4 000 m dans les Alpes, on peut remonter sur un à deux siècles, comme au Col du Dôme (Mt-Blanc) ou Col Gnifetti (Mt Rose). C'est peu, mais l'importance des couches annuelles (équivalentes à 2 m d'eau) permet d'y analyser finement les archives qui décrivent la période industrielle européenne avec son cortège de pollutions de toutes sortes, et de mettre en évidence des réductions suite aux efforts d'épurations (ex : Sulfates libérés par combustion du pétrole), tandis qu'on constate des augmentations navrantes suites à nos pratiques automobiles et agricoles (ex : Oxydes d'Azote). En revanche, les centres des calottes polaires, avec leurs régimes de précipitations dignes des plus secs déserts, ont déjà fourni des séries d'archives de 200 000 à plus de 800 000 ans !
Finalement, ces glaciers qu'apprécient les alpinistes dans toutes les grandes montagnes du globe, constituent un moyen de choix pour suivre les changements du climat et de leurs variétés massif par massif en permettant d'évaluer l'amplitude et la répartition des modifications.
En ces temps de réchauffement global, de recul glaciaire généralisé depuis la fin du PAG, vers 1820, (à l'exception actuelle d'un grand nombre d'émissaires de la calotte groenlandaise et de nombreux glaciers à « surges » des territoires arctiques, ces derniers n'étant que très marginalement affectés par les variations du climat), les glaciers de type alpins, tout autour de la planète, constituent un laboratoire bien adapté pour le suivi des variations climatiques car ils comptabilisent tous les petits flocons en excès ou défaut, ainsi que les moindres fontes supplémentaires. C'est pourquoi la majorité des pays alpins se sont dotés de programmes de suivi, notamment sur les relevés du paramètre le plus significatif de l'influence du climat, le bilan de masse glaciaire annuel, ou encore mieux en détaillant l'accumulation hivernale de la fonte estivale.
Pour les amateurs de ce type d'évolution, vous trouverez un condensé des relevés annuels effectués, au sein de l'Observatoire des Sciences de l'Univers, par Équipe Glaciers Alpins du laboratoire de glaciologie du CNRS, sur un échantillon de glaciers choisis dans chacun des massifs des alpes françaises, ainsi que d'autres informations sur la recherche glaciologique.
Louis Reynaud
(*) Le Petit Âge de Glace (PAG) a culminé dans les Alpes entre 1600 et 1820 : c'est la première fois que les glaciers font parler de leurs méfaits dans les vallées alpines (destructions d'alpages, prairies de fauche et hameaux). Avant l'invention de la photographie, les peintres ont représenté ces langues terminales imposantes dans de nombreux tableaux qui restituent bien l'ambiance glaciaire de l'époque. Aujourd'hui, les grandes moraines latérales, témoins de cette incursion des glaciers, permettent de se faire une idée de leurs développements, elles constituent une des caractéristiques glaciaires qu'on retrouve dans tous les massifs du montagneux du globe, car le PAG correspondait à une baisse mondiale de température.
Pour obtenir une image du sous-sol, on peut utiliser : soit les variations de densité des roches responsables en surface de faibles modifications locales de l'attraction de la pesanteur à l'aide d'un gravimètre, balance très sensible mais délicate, soit la propagation d'ébranlements sismiques générés par des explosions, dont les réflexions ou réfractions sur les couches profondes renseignent sur leurs nature et disposition, soit encore la propagation provoquée de courants électriques dans le sol dont la distribution est révélatrice des résistances des couches et donc de leurs natures.
Dans chacune de ces prospections géophysiques, on obtient un signal global qu'il faut interpréter. Généralement on a recours successivement à divers procédés qui fournissent des informations complémentaires.
Pour les glaciers, où la glace constitue un matériau assez homogène, la sismique a permis d'obtenir les épaisseurs, la forme de la vallée et souvent la nature du lit : rocheux ou morainique, en fonction des vitesses de propagation des ondes sismiques, tandis que l'électrique permet la mise en évidence de présence ou d'absence de glace dans le pergélisol (sols gelés et glaciers rocheux).
Aujourd'hui, des radars adaptés ont permis de relever des épaisseurs de 4 000 m pour la calotte froide Antarctique, mais, en glaciers alpins tempérés (0°C), la teneur en eau de l'ordre de 1 à 2 %, limite la méthode à environ 400 m de profondeur.