Hommage à Ben

Publié le 25 septembre 2025

Ben Guigonnet Ben Guigonnet

Jeudi 18 septembre, deux alpinistes et formateurs de l'ENSA, Benjamin Guigonnet et Quentin Lombard, décédaient dans un accident de voiture dans les gorges du Verdon. Benjamin Guigonnet, Ben comme on l'appelait, avait été membre du Groupe excellence alpinisme national (GEAN), coach du GEAN et coach du Groupe alpinisme FFCAM des Alpes-Maritimes. Luc Thibal, directeur technique national, et Stéphane Benoist, conseiller technique national, coach du GEAN et du Groupe féminin FFCAM-ENSA, lui rendent hommage.

" Des capacités qui sortent de l'ordinaire "

Benjamin, c'était un alpiniste, grimpeur, himalayiste, guide, professeur, coach... qui excellait dans tous les domaines qu'il touchait. Ce n'était pas de la polyvalence, mais de la « poly excellence » réservée aux personnes dotées de capacités qui sortent de l'ordinaire. Sa personnalité très inspirante pour les jeunes générations se perpétuera au travers des gens qui ont eu la chance de croiser son chemin ou de découvrir son parcours au travers des récits d'ascensions. Son immense talent était aussi à la hauteur d'une très grande humilité qui le rendait très accessible à tous et à toutes. Son visage toujours empreint d'un sourire discret restera longtemps dans nos mémoires.

Merci, Benjamin, au nom de toute la fédération.

Luc Thibal,
Directeur technique national

 

Ben Guigonnet en escalade sur glace, discipline particulièrement marquée par ses réalisations © Pessi Ben Guigonnet en escalade sur glace, discipline particulièrement marquée par ses réalisations © Pessi

" Une capacité hors norme à s'engager et un très fort esprit de cordée "

Benjamin, j'avoue que ça me fait "drôle" d'écrire ta rubrique nécrologique, celle-là je ne l'avais pas du tout vue venir. Tu dégageais une telle sérénité, je me demandais même comment tu faisais pour être toujours aussi rayonnant sur toutes les photos. Quelle connerie !
Toutes mes pensées les plus chères pour Quentin, ses proches, et ceux de Benjamin.

Le cœur brisé, voilà quand même ce que je peux dire sur Benjamin. Nous nous sommes rencontrés pour la première fois en 2005. C'était à l'Erbossiéra, un site d'escalade très physique à proximité de Nice. Nous venions de l'équiper avec mes amis, Patrice Glairon-Rappaz et Patrick Pessi. À 17 ans, Benjamin grimpait déjà vraiment très bien et gambadait allègrement dans le 8a avec toute la fluidité et l'aisance qui le caractérisait. Souvent flanqué de ses amis, Thomas Arfi et Damien Tomasi, il a exploré les parois de nombreuses montagnes. Les trois joyeux comparses font partie des alpinistes niçois de cette génération qui se sont le plus engagés dans la pratique de l'alpinisme.

Si je m'exprime aujourd'hui en tant que responsable actuel du GEAN, c'est que je fais partie de ceux qui ont eu la chance de pouvoir les accompagner dans leur volonté de devenir alpinistes, puis guides et enfin grands alpinistes. De 2006 à 2007, je les ai d'abord coaché dans le groupe espoir alpinisme FFCAM 06, puis sous la houlette de Christophe Moulin au GEAN (Damien dans la promotion 2007 - 2008, Benjamin et Thomas dans la promotion 2009 - 2010). Ensuite, ils sont devenus guides. Puis, pour Benjamin et Thomas, formateurs du groupe espoir 06, pour tous les trois, formateurs du GEAN, et pour Benjamin et Damien, professeurs à l'ENSA*. Par ailleurs, alors qu'ils étaient aspirant-guides, Benjamin et Thomas ont rejoint Guides06, le bureau des guides que nous venions de fonder en 2008 avec notre ami Nicolas Féraud (promotion du GEAN 2005 - 2006).

L'engagement de Ben et Toto à nos côtés pour développer ce bureau des guides naissant, leur maturité et leur rigueur pour amener des débutants dans la découverte de l'alpinisme, nous ont aussi permis de faire grandir et pérenniser ce beau projet professionnel. Je ne pense pas me tromper en disant que des dizaines de clients gardent des souvenirs fabuleux d'ascensions partagées avec Thomas, disparu au Népal en octobre 2021, ou Benjamin, qui nous a quitté il y a quelques jours. Chacun avec sa personnalité, son envie de transmettre et son souci de la sécurité, dégageait un grand professionnalisme. Leur joie de vivre communicative faisait aussi plaisir à voir et nous a permis de passer des moments inoubliables, avec de bonnes tranches de rigolade.

Sorti de son travail classique de guide, Benjamin a toujours voulu aller loin, très loin, peut-être plus loin que les autres. Il était un touche-à-tout incroyable d'une curiosité et d'une efficacité sans pareilles : maçonnerie, mécanique, menuiserie et même sculpture où il était doté d'une grande créativité. Mais ce qui le faisait vibrer le plus c'était l'escalade, l'alpinisme et ce péché fatidique sur lequel je ne vais pas m'étendre : la conduite sportive.

À propos de l'alpinisme, le domaine dans lequel il a le plus excellé à mon sens, Benjamin a eu des réalisations véritablement exceptionnelles. Doté d'une aisance hors pair dans tous les terrains, du cramponnage classique, aux désescalades faciles, en passant par la glace verticale où sa capacité à grimper sans frapper ses piolets mais seulement en les crochetant sur la glace, en faisait un véritable artiste de cette discipline : l'ascension de WI7 (grade 7, grade ultime en cascade de glace). Ensuite il avait une capacité hors norme à s'engager en paroi tout en s'appuyant sur un très fort esprit de cordée. À ce petit jeu là, sa rencontre au stage d'aspirant-guide avec Frédéric Degoulet s'est avérée décisive. Ces deux-là étaient l'incarnation de ce qui fait rêver toute cordée digne de ce nom : 1 + 1 = plus de 2 ! Ensemble, ils formaient un tout supérieur à chacun d'entre eux pris séparément. Leurs ascensions en Alaska et en Patagonie en témoignent. Dans une seconde phase, Ben et Fred ont élargi leur cordée à une autre cordée remarquable composée de Hélias Millerioux et de Robin Revest. Là encore et plus que jamais jusque là dans leur parcours, ils ont su réussir une voie exceptionnelle, une ouverture extrême en glace dans la face ouest du Siula Chico (6265m, cordillère Huayhuash, Pérou). Puis, poussé par cette dynamique interne propre à tous les individus en quête de haute performance, Benjamin a regardé plus haut.

Imaginer la ligne en face sud du Nuptse Nup II (7742m, Khumbu, Népal), puis l'avoir gravie, me semble être une des évolutions majeures de l'alpinisme de ces dernières années. Et le visionnaire qui en a été le premier artisan, c'est Benjamin. Depuis Jeff Lowe et David Breashears en 1982 dans la face nord du Kwande Lho 6187m, je trouve que dans ce style d'ascensions, toutes les générations qui ont suivi, nous avons sensiblement fait la même chose : gravir de superbes faces raides en placages de glace et mixte, en allant chercher de la belle escalade mais par des faces de maximum 1500 mètres et sur des sommets ne dépassant pas 6900 mètres. Après une tentative avec Hélias en 2015, puis une autre en 2016 avec Frédéric, Hélias et Robin, c'est avec Fred et Hélias que Benjamin atteint le sommet. À ce moment-là, le fameux rêve de Jeff Lowe : « grimper de la glace verticale en Himalaya » prend encore une, voire plusieurs, autres dimensions, car leur voie en face sud Nuptse Nup II présente des valeurs à faire frémir : altitude 7742m, hauteur de la face 2000 mètres, six jours d'ascension, difficultés WI6, M5+ à plus de 7000 mètres. Et croyez-moi, ces valeurs quantitatives sont loin de tout dire vis-à-vis de la qualité des paramètres qu'il faut ajuster pour arriver au bout d'une telle expérience. Ils seront lauréats des Piolets d'Or 2018. Comme ils avaient ramené des images incroyables de là-haut, grâce à l'opiniâtreté de Hélias, un magnifique film sorti en 2023 retrace leur aventure.

Parmi toutes les choses que Benjamin m'a apprises, c'est à l'occasion de ces expériences en Himalaya qu'il a pu exprimer un fondement essentiel de l'alpinisme : « dans les Alpes on apprend à aller vite et dans le plus dur possible, alors qu'en Himalaya il faut apprendre à faire l'inverse, gérer de longues immersions alors que ce n'est pas forcément très difficile techniquement ». Je le savais par l'expérience, c'est Benjamin qui en le formulant m'a fait faire un pas de géant dans ma compréhension de l'alpinisme. Merci aussi pour ça.

Au niveau sportif, ce qui s'avère également de tout premier plan dans son parcours, c'est sa polyvalence et le fait d'être un des très rares grimpeurs alpinistes à avoir réussi, d'une part une aussi grande réalisation en Himalaya, qui à mes yeux est une sorte de quintessence de l'alpinisme, et par ailleurs la capacité de gravir des blocs en 8a et des voies en 9a.

Ces dernières années, tu t'étais aussi spécialisé dans les grandes courses avec clients. Beaucoup me l'ont dit, comme cela avait été le cas pour moi, ce fut un immense bonheur pour eux aussi de partager avec toi l'essence de l'alpinisme engagé : se confronter à l'inaccessible et l'incertain, puis compter sur ses forces intérieures et former une cordée pour se sortir de là. Cette activité de guide quasiment confidentielle car extrêmement complexe semblait étancher ta soif d'aventure et d'engagement. Le tableau semblait parfait. Comme depuis toujours, tu dégageais une immense bonté, tu avais eu des réussites à n'en plus finir dans des domaines variés, tout en ayant sû maintenir une présence remarquable auprès de ta famille, de tes parents, de ton frère, de ta femme et de vos enfants Nino et Zoé, qui paraissaient être ce que tu avais de plus cher. Quelle part sombre en toi n'as-tu pas su apprivoiser ?

Ce n'est rien de dire que malgré le climat de désolation que tu laisses derrière toi... tu vas nous manquer !

Stéphane Benoist,
Conseiller technique national, coach du GEAN et du groupe féminin FFCAM-ENSA

 

Une cagnotte de solidarité pour Melody, sa femme, Nino et Zoé, ses enfants, est disponible en ligne :

 

Cagnotte de solidarité en mémoire de Ben, pour sa femme, Melody, et ses enfants, Nino et Zoé